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L’art Egyptien

Mai 27, 2013

Au cours de trente siècles (les trois quarts, ou presque, de l’aventure humaine), l’antique Egypte a vu fleurir sur son sol une des plus belles civilisations qui aient encore paru sur terre. Les monuments d’art qui en subsistent savent nous éblouir sans manquer de nous émouvoir.

Il apparaît, dès l’abord, que cet art resta constamment soumis aux mêmes lois traditionnelles, ce qui n’équivaut nullement à dire qu’il soit, ainsi qu’on l’a trop longtemps prétendu, toujours enfermé dans des formules immuables; bien vite on s’aperçoit que cette immutabilité apparente s’accompagne d’une évolution continue, d’un progrès incessant dans le renouvellement et la liberté de l’expression. Au reste, il n’en pouvait être autrement chez ce peuple singulièrement artiste, car l’art, ainsi que la vie qu’il tend à refléter, sait bien vite échapper à toute formule et, sinon briser les cadres dans lesquels il doit évoluer, du moins y enclore tous les aspects puissants et graves, aussi bien que les gestes animés et frémissants de cette vie même.

Il n’en reste pas moins que dans son ensemble l’art égyptien, plus que tout autre, s’impoart-egyptiense par son caractère de hiératisme, de majesté simple et de puissance écrasante, d’unité dans l’espace et dans le temps, – qui se concilient miraculeusement avec une variété et une souplesse incomparables (mais celles-ci restant toujours disciplinées), avec une élégance infinie, un charme profond qui ne sacrifient presque jamais aux détails la perfection de la ligne, – et qu’ainsi, cet art atteint à la beauté définitive.

D’où pouvait bien provenir ce goût naturel et prononcé des Egyptiens pour le majestueux et le durable ? Certainement, pour une bonne part, des conditions de la vie dans ce pays aux pures et nobles lignes, écrasé sous un soleil qui chauffe à blanc, qui ronge les contours et boit les couleurs. Ils avaient senti que les réalisations d’art n’y peuvent être conçues qu’en des aspects d’ensemble, pour mieux s’adapter à ce paysage puissant, aux vastes formes reposantes, aux horizons et aux sites toujours semblables d’une grandiose monotonie, et le plus propre à inspirer l’idée de pérennité. Cette nécessité des conceptions d’ensemble exigeait aussi que la sculpture n’y fût regardée que comme faisant partie d’une architecture dont elle constituait l’un des éléments. Elle s’interdisait, en conséquence, le mouvement ; il fallait qu’elle apparût essentiellement statique, les silhouettes devant rester calmes, les volumes cernés par des lignes simples, pour ne pas troubler l’aspect ni l’ordonnance de l’ensemble architectural.

Mais si l’art entre en nous avec, dans les profondeurs du subconscient, la force de nos sols et la couleur de nos ciels, il est également déterminé par nos préparations ataviques, il est défini par les conceptions intuitives ou acquises sur la divinité, sur l’au-delà, sur l’ordre adopté dans les relations et les hiérarchies humaines, – et de fait, en Égypte, l’art fut essentiellement d’inspiration à la fois religieuse, funéraire et royale.

Le caractère religieux apparait d’autant plus aisément que les principaux monuments de l’art égyptien parvenus jusqu’à nous sont représentés par des temples et des tombes, et surtout par les statues, les bas-reliefs et les fresques qui en constituaient l’ornementation. Les statues, destinées a figurer les dieux et les rois, ne pouvaient être que de lignes et d attitudes empreintes de grandeur et de dignité. Dès l’abord, elles prirent un aspect traditionnel inébranlable, et les règles de la statuaire furent enfermées en des limites très étroites que les prêtres n’entendirent plus voir dépasser ni modifier (Amenophis IV, qui tenta d’introduire un unique et nouveau symbole dans la figuration de la divinité, en fit l’expérience lors du Schisme atonien qui se développa dans la nouvelle capitale : el Amarna).

Mais la Révolution amarnienne n’en avait pas moins pu réussir ; c’est que l’art égyptien, aussi bien que l’influence religieuse, subissait l’influence royale. Certains même de ses historiens prétendent qu’il fut avant tout un art aulique. Plus nombreuses en tout cas que les effigies de divinités, nous sont restées des statues de pharaons ou de reines, de courtisans, de grands fonctionnaires, de prêtres, de scribes, représentés dans le geste symbolique de leur fonction, ou bien en attitude d’apparat : il était, dans ces conditions, impossible à la statuaire égyptienne d’évoquer une action ou une scène, de représenter le mouvement, en un mot, d’être narrative, ainsi que l’indique M. Etienne Drioton. Elle ne pouvait que donner à ses représentations l’attitude de la majesté, supprimer les gestes qui auraient nui à la noblesse et à la grandeur de la pose. A l’encontre de ce «statisme » qu’imposaient à la statuaire sa destination et l’allure qu’elle devait donner à ses modèles, toute l’animation, tout le charme de la vie se retrouvent dans les bas-reliefs et les fresques qui ne se contentent plus d’être présentatifs, mais sont essentiellement narratifs (de même que les statuettes accessoires des tombeaux). De vivantes et adorables scènes, toute 1’éxistence somptueuse et large, charmante et douce des riches Egyptiens est évoquée dans ces reliefs délicats qui semblent caresser la pierre sans jamais la meurtrir. Rien n’empêchait l’artiste d’y donner libre cours à son imagination ou à sa fantaisie; il devait au contraire, pour permettre au défunt, dans l’au-delà, de revivre toutes les circonstances exceptionnelles ou communes de son existence passée, en rappeler le souvenir avec le réalisme le plus poussé, le plus aigu, le plus évocateur.

Car, et c’est là son troisième caractère, cet art avait, aussi importante que les deux premières, une destination funéraire parce que la continuation de la vie dans l’au-delà était la préoccupation essentielle de 1’Égyptien. L’influence des conditions naturelles et du sol sur les croyances métaphysiques et religieuses peut se vérifier dans ce pays plus aisément qu’ailleurs. L’inondation du Nil, ce roi de la contrée, y rappelle, chaque année, les résurrections incessantes. Il n’était donc pas surprenant qu’à la contemplation des phénomènes, modestes ou grandioses, de l’univers, qui évoquent avec une constance immuable la perpétuité dans le renouvellement, l’Egyptien fût amené à vouloir, pour lui-même, l’éternité individuelle. D’où le mythe osirien et la foi en la survivance dont le privilège, réservé d’abord au pharaon, fut plus tard accordé aux grands, puis aux plus humbles de ses sujets.

Pour l’Égyptien, l’être à côté de l’élément corporel, en comporte quatre autres d’ordre immatériel, parmi lesquels le Ka. Et la survivance n’est possible que si le Ka peut à nouveau s’intégrer au corps : d’où la nécessité de conserver précieusement ce dernier, et d’assurer la continuité de sa vie physique. Dans un abri secret, indestructible, inviolable, le cadavre, embaumé, est déposé. II faudra qu’il ait à côté de lui ses objets familiers, de la nourriture et des boissons, que ses yeux retrouvent immédiatement les représentations de sa vie familière qu’une formule magique sera suffisante à ranimer. Mais ce point de vue purement philosophique et religieux ne devait pas tarder à être dépassé. Quelque minutieuses et parfaites qu’eussent été les précautions et les cérémonies de l’embaumement, elles ne pouvaient garantir perpétuellement la momie contre les risques de disparition ou de vol. Aussi, la statue ou le relief qui étaient la représentation du mort en vinrent à être regardés comme un facteur d’immortalité équivalant au corps, pour servir de support au Ka lorsque le défunt entendait revenir à la vie. Il était dès lors nécessaire pour éviter au Ka d’être victime d’une erreur à l’occasion de ses fréquentes intégrations au corps, que l’image du mort, statue ou relief, fût à sa ressemblance rigoureusement exacte. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison pour laquelle l’art de la statuaire égyptienne présente, de ses débuts éclatants à sa décadence raffinée, un caractère de réalisme tellement intense, de vérité si poussée. De ce fait seul devait résulter la plus magnifique des compensations à la rigidité des lois imposées à la statuaire. Ces lois, du reste, n’avaient jamais abouti à une stylisation exagérément systématique, laquelle aurait enlevé à l’œuvre d’art toute vie et toute personnalité ; elles n’en constituent pas moins une réalité qui donne à l’art égyptien un caractère d’unité, d’immutabilité, de simplicité grandioses.

Deux autres motifs concouraient à cet effet :

  • – d’abord le choix des matières employées souvent pour la statuaire, des minéraux d’une extrême dureté, granit, porphyre, basalte, qui se conciliaient avec l’idée de durée illimitée ; la résistance que ces pierres opposaient à l’outil contraignait l’artiste à se borner à de grands traits simples, et disciplinaient toute fantaisie plastique;
  • – ensuite cette unique et formidable expérience d’un art qui se développe comme en vase clos, sans influence appréciable des apports venus de l’étranger, ni des formes de civilisations voisines qui eussent pu introduire des éléments nouveaux dans les conceptions de l’art égyptien.

 

Cette expérience, avons-nous dit, dura presque trois mille ans, sans qu’il soit tenu compte des périodes préhistorique et prédynastique, au cours des quelles l’Egypte était déjà parvenue à un degré très élevé de civilisation. L’époque thinite (3330-2778), qui marque le seuil de son histoire, voit naître simultanément l’architecture de briques et la statuaire.
En 3300, Menés, roi de la Haute-Egypte, avait conquis le Delta et fondé l’empire pharaonique, dont la nouvelle capitale fut Memphis. Les premières statues trahissent leur archaïsme par un style lourd et trapu, mais on y peut noter déjà la recherche de la ressemhlance : ce souci de réalisme restera le caractère essentiel de la sculpture memphite. C’est avec le premier roi de la 3eme dynastie, Djeser, que commence l’Ancien-Empire (2778-2360). L’architecture de pierre remplace l’architecture de briques, et la grande statuaire apparaît : c’est la période de l’âge adulte, marquée par la fraîcheur de la jeunesse, la plus saine et la plus franche vigueur. Les murs des mastahas sont couverts de bas-reliefs ; leurs << Serdab >> nous livrent des effigies fascinantes de vie intense, empreintes de ce réalisme puissant, direct, dont la vigueur ne fut dépassée par aucun autre art, en aucun temps, ni dans aucun autre pays.

Pendant la période intermédiaire de troubles et de désorganisation (2300- 2060) qui suivit la fin de la 8eme dynastie, l’art devait nécessairement péricliter. Le fondateur de la 12eme dynastie, Amenemhat 1er, allait ensuite ouvrir la période qui porte dans l’histoire le nom de 1er Empire Thébain, ou Moyen Empire (2060-1730), nouvelle grande époque de la statuaire qui apparaît marquée par la tendance à concilier l’idéalisme avec le réalisme. L’intention psychologique aiguë s’y allie à merveille à la stylisation des formes, mais l’on peut toutefois noter dans cet art du Moyen Empire un certain académisme, un souci d’intellectualité poussé un peu trop loin . Pendant l’invasion des Hyksos, toute vie artistique, semble-t-il, fut suspendue.

L’œuvre de libération qu’Ahmosis parvient à achever voit renaître une Égypte plus glorieuse que jamais, et qui atteint, avec la 18eme dynastie, le plus haut degré de sa civilisation. Pendant le Nouvel Empire ou 2eme époque thébaine (1580-1085), les guerres et les conquêtes extérieures vont élargir l’horizon des Egyptiens et leur inculquer le goût d’une vie plus luxueuse plus raffinée. Les statues, les figures représentées sur les reliefs s’accompagnent de coiffures plus compliquées, de vêtements plus élégants, les physionomies s’ imprègnent de douceur et de charme : la tendance dominante est l’idéalisme. Il est vrai que la révolution amarnienne devait marquer un retour au réalisme, mais son échec fut aussitôt suivi par une revanche de l’idéalisme thébain.
Par ailleurs, cette époque voit s’effectuer la fusion de l’art officiel et de l’art privé, due à l’afflux de richesses apportées en Égypte par les conquêtes asiatiques. C’est l’âge d’or des arts mineurs. L’orfèvrerie somptueuse, les parures raffinées, les vêtements de lin plissé et transparent, les meubles à la plaisante décoration apparaissent dans les représentations des tombes civiles ; et comme l’influence amarnienne n’a pu disparaître complètement, cette époque reste celle de l’ élégance et de la grâce.

De 1085 à 663, l’Égypte fut soumise à des rois d’origine étrangère, jusqu’à ce que Psammétique la délivrât de la conquête assyrienne. L’époque saïte (663-333) marque un renouveau de prospérité et d’art. On tâche de revenir à la simplicité antique des formes, à la pureté de la ligne, on s’efforce à ressusciter le réalisme traditionnel de l’art memphite. Et pourtant, malgré cette tendance systématique à l’imitation des modèles de l’Ancien Empire, le goût de l’académisme persiste dans la statuaire, aussi bien que le souci de l’afféterie et du joli dans le bas-relief.

Après la bataille d’Issus l’Égypte passe sous la domination d ‘Alexandre, puis sous celle des Ptolémée Lagides. L’hellénisme triomphe, jusqu’à ce que la conquête romaine (31 av. J.-C.) vienne marquer la fin de la civilisation égyptienne : aussi bien, l’art égyptien avait presque cessé d’exister dès le début de 1ère ptolémaïque.

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